jeudi 21 mai 2009

La loi de Marcus

« Voir un homme courageux, un homme solitaire et innocent, se battre contre des forces démoniaques irrésistibles dans un monde impitoyable m’avait toujours inspiré et réchauffé le cœur ». Le maître Marcus Luttrell est un fan du Comte de Monte-Cristo, et il a sans doute aussi trouvé l’instinct de survie dans Alexandre Dumas, et la célèbre phrase d’Emond Dantès : « Dieu me rendra justice ». Le DVD du film était dans son sac, quand il arrive à Bahrein, base arrière des forces spéciales opérant en Afghanistan.
Luttrell est « le Survivant » (Editions Nimrod), le seul rescapé de son équipe Seal. Infiltré le 28 juin 2005 au cœur du Kunar, une des zones les plus hostiles de l’Afghanistan, il voit périr un à un ses frères d’armes, tous polycriblés. Cruel, et encore plus cruel pour celui qui est aussi le Medics du groupe.
Tout a commencé parce que l’équipe a laissé filer des bergers qui avaient détecté leur présence. En Kunar, comme quasiment partout ailleurs en Afghanistan, on n’est pas insurgé à temps complet : un fort parti d’insurgés (sans doute alerté par les bergers), dont le chef est précisément la cible des Seal va alors traquer les Américains.
Le Lokhay warkawal (le respect de l’hôte, chez les pachtounes) l’a-t-il sauvé des balles des talibans, qui ceinturent le village où il se réfugie ? Manifestement. Les rangers, qui le chercheront aussi pendant des jours, dans les montagnes de Kunar.
Le Texan, admirateur de George Bush, en est sorti sans doute transformé. Il le dit, à mots couverts, et cela perce finalement, dans l’écriture de Patrick Robinson, qui a recueilli son extraordinaire histoire.
Une histoire où le chef des forces spéciales va lui-même chercher « son » gars, ce qui lui coûte la vie.
Une histoire où les Seal investissent le ranch texan de la famille Luttrell –son propre frère jumeau est Seal aussi- pour la soutenir et la protéger de la presse.
Bref, une histoire à lire, sans s’arrêter aux quelques écueils intrinsèques du récit (patriotisme exacerbé avec pour corollaire un anti-presse primaire, etc).
Marcus Luttrel est reparti, quelques semaines après son aventure, pour l’Irak.
François de Saint Exupery, qui mène les Editions Nimrod s’est fait le spécialiste de ces récits bruts de fonderie, publiant aussi l’ancien SAS Chris Ryan ou le SBS Duncan Falconer. Un jour, des commandos français franchiront sans doute aussi le pas, même si c’est peu inscrit dans la culture chez nous.
Comme pour me faire mentir, le reporter du Figaro Jean-Louis Tremblais a effectué un patient travail de recueil de la mémoire du colonel Jean Sassi, que je recommande aussi à la lecture. De la résistance à l’Algérie, en passant par l’Indochine, 20 ans de guerres secrètes décortiquées par un de ses piliers. Bref, de la tactique, du vécu, qui peut aussi irriguer la réflexion du commando d’aujourd’hui, que celle de leurs chefs.
Comme l’un d’eux me l’a confié un jour, c’est aussi en relisant les journaux de marche, les retex de ces héros discrets que l’on peut, aujourd’hui, gagner toutes les guerres.