lundi 13 avril 2009

Tanit : gare aux polémiques faciles


Avec plus ou moins d'arguments, on entend depuis ce matin déplorer ou justifier ce que nous remarquions dès vendredi soir au micro de France Info : pour la deuxième prise d'otages consécutive, le GIGN a été débarqué d'une opération de libération. Encore plus exactement, il n'a pas pu embarquer (1) pour des raisons que le ministère de la Défense n'évoque pas pour l'instant. L'Etat-major des armées (EMA) a seulement tenté, ce midi sur France 3, de déminer au plus tôt la polémique (2) naissante en livrant des arguments connus : les commandos marine sont légitimes, puisqu'ils sont spécialisés dans le contre-terrorisme maritime (CTM), interviennent régulièrement contre des narco-trafiquants, etc. Personne ne conteste ce point : les commandos marine le font d'ailleurs avec des résultats que bien des unités, y compris américaines, leur envient. Avec le Tanit, c'est la troisième opération de contre-piraterie que les hommes de Marin Gillier -personnellement remercié par le père de Florent Lemaçon, hier- mènent à terme en un an.
Mais la volonté de ne pas multiplier les chaînes de commandement et les familles d'intervenants -argument qui sous-tend, entre autres, l'exclusion de facto du GIGN- ne doit pas limiter le spectre des options tactiques possibles, et la façon de les mener.
Or, exclure le GIGN c'est exlure tout bonnement l'unité française qui a libéré le plus d'otages ces trente dernières années, qui effectue régulièrement des opérations de réduction de forcenés, et opère des remises de rançons. C'est aussi une unité qui excelle dans le tir de précision (comme les commandos marine). La libération d'otages, c'est donc le coeur de son domaine d'excellence.
Il arrive même qu'un négociateur du GIGN soit aussi un fin tireur. Le gendarme du GIGN est donc particulièrement "rentable" s'il faut évoquer ainsi le prix du siège d'Hercules...
Une opération comme celle du Tanit est aussi interarmées par essence. Il ne viendrait à personne de faire former, dans la marine, des pilotes de Hercules pour le Tarpon : on fait appel à une unité expérimentée de l'armée de l'Air, le 3.61 "Poitou" (devise : "à l'aise partout...").
Parmi les arguments qu'on entend ce matin, un partage de territoire qui n'a pas de sens : la mer aux commandos marine, la terre au GIGN. C'est faire facilement fi du fait que les commandos marine se déploient sur terre, au Tchad, en ouverture de porte pour l'Eufor, en Afghanistan, où opérait le commando Hubert, à l'été 2008. Aucun de leurs camarades du COS n'est venu les juger illégitimes au motif qu'ils étaient avant tout marins... Les commandos du 1er RPIMa et du CPA10, d'autres unités de forces spéciales, ont d'ailleurs, eux aussi dans leur mandat la libération d'otages à l'étranger.
Ségreger cette communauté, redoutablement efficace, n'a pas de sens. Tous, au niveau individuel, se connaissent d'ailleurs assez bien, et pour la plupart, s'estiment. Tous étaient représentés à Ouvéa, lors d'heures difficiles. Tous étaient également dans le même bateau -un TCD en l'occurrence- lors de l'opération Balbuzard Noir, fin mai 1995, pour aller libérer des militaires français pris en otages.
Cette polémique, comme le dogmatisme qui l'a précédé, n'a pas de sens. Pas à l'ère des prises d'otages massives, ou de la piraterie en pleine expansion, en Somalie, mais ne l'oublions pas non plus, dans le golfe de Guinée.
Un dernier rappel, historique celui-là : les commandos marine, notamment ceux d'Hubert -dont est issu l'amiral Marin Gillier-, sont ceux qui ont mis sur pied les modes opératoires du CTM, dès les années 80. C'est un certain Denis Favier, l'actuel patron du GIGN, qui avait professionnalisé cette compétence au sein du Groupe, au début des années 90.


(1) Pour être totalement exact et circonstancié, ce genre de péripétie arrive souvent : le RAID avait été éconduit sans ménagements, alors qu'il proposait ses services de négociation, lors de l'affaire du Ponant.
(2) une polémique à peu près similaire avait surgi après l'arraisonnement du cargo Winner, et la mort d'un marin du bord, en juin 2002. L'absence de bilan, puisque les stupéfiants avaient été jeté à la mer, avait d'autant plus alimenté la polémique.

Notre photo : les commandos marine extraient le jeune Colin, trois ans, de la cabine du Tanit (crédit : Marine nationale).